La fatigue est bien plus qu’un simple coup de mou quand on lutte contre le cancer. Les patients en parlent souvent comme d’une bataille silencieuse, parfois plus difficile à mener que celle contre la douleur. La fatigue liée au cancer et/ou à ses traitements est pourtant bien réelle et fréquente. Elle reste encore souvent sous-estimée. Comprendre les causes de cette fatigue, savoir la reconnaître et, surtout, apprendre à vivre avec et essayer d’en réduire l’impact négatif devient indispensable, pendant et après les traitements. Ses mécanismes sont multiples, associant des facteurs physiques et psychologiques et affectant les personnes de façon très différente.
Qu’est-ce qu’une fatigue chronique ?
La fatigue chronique est une sensation d’épuisement physique ou moral qui peut affecter chaque personne à un moment donné. Elle survient souvent de façon physiologique après une période d’effort prolongé, qu’il soit physique ou intellectuel, ou à la suite de journées stressantes. En général, la fatigue disparaît avec du repos et une bonne nuit de sommeil. Elle est donc perçue comme un phénomène normal et temporaire dans la vie quotidienne.
Cependant, il existe des cas où la fatigue devient persistante, accompagnée d’une sensation de lassitude, elle s’installe dans la durée et ne disparaît pas avec le repos habituel. Ce type de fatigue plus intense peut interférer avec les activités quotidiennes et affecter de façon plus ou moins importante la qualité de vie. Plusieurs facteurs peuvent la provoquer, comme un manque de sommeil, une mauvaise alimentation, ou encore le stress. Cela peut aussi traduire une pathologie sous-jacente, comme une anémie, un dysfonctionnement hormonal, des maladies métaboliques, voire cardiaques ou pulmonaires.
Une fatigue chronique doit donc être prise au sérieux, car elle peut aussi être le signe d’un trouble sous-jacent qui nécessite un bilan médical approfondi.
Comment distinguer une fatigue normale d’une fatigue liée au cancer ?
Il est important de savoir différencier une fatigue « normale » d’une fatigue liée au cancer et/ou à ses traitements. Alors que la fatigue habituelle peut être soulagée par du repos, la « fatigue cancéreuse » (« Cancer-related fatigue (CRF)» en anglais) est bien plus persistante et invalidante. Elle peut se manifester sans raison apparente et devient omniprésente, ce qui perturbe nettement la qualité de vie.
L’intensité, les symptômes et la durée de la fatigue liée au cancer sont variables, et dépendent du type de cancer, de son extension (ex : maladie localisée ou métastatique), de l’âge des patients, d’éventuelles comorbidités (pathologies chroniques associées), et des traitements réalisés (ex. chimiothérapie). La fatigue peut être d’intensité constante ou variable en fonction du temps.
Les principaux symptômes de la fatigue du patient cancéreux
| Sensation d’épuisement physique et mental |
| Lassitude et grande faiblesse qui affecte tout le corps |
| Impression de lourdeur des bras et surtout des jambes avec difficultés à la marche |
| Difficultés de concentration et troubles de la mémoire |
| Incapacité à prendre des décisions |
| Perte d’intérêt pour les activités du quotidien |
| Troubles de l’humeur (tristesse, frustration) avec tendance dépressive plus ou moins sévère |
| Douleurs de type crampes ou brûlures |
| Diminution de la libido |
| Perte de l’appétit et amaigrissement |
| Troubles du sommeil |
Il est fréquent que les personnes atteintes d’un cancer sous-estiment leur fatigue, la considérant comme une conséquence inévitable de la maladie ou des traitements. Cependant, cette fatigue, souvent qualifiée d’asthénie, se distingue par son intensité et son caractère persistant. Elle affecte des aspects essentiels de la vie quotidienne et rend difficiles des actions simples comme s’habiller, monter des escaliers ou encore tenir une conversation. Elle n’est pas systématique, mais il s’agit de l’un des symptômes les plus rapportés, souvent perçu comme plus invalidant que la douleur elle-même.
Pourquoi le cancer fatigue ?
La fatigue intense chez les patients atteints de cancer peut être causée par plusieurs facteurs interconnectés.
D’abord, la maladie elle-même « épuise » le corps en mobilisant des ressources pour lutter contre les cellules cancéreuses, par exemple par le biais de phénomènes liés à l’inflammation. Certaines formes de cancer, notamment à un stade avancé, peuvent entraîner une anémie due à une baisse des globules rouges ce qui prive les organes d’oxygène et entraîne une fatigue extrême.
De plus, en cas de diminution importante de l’activité physique et surtout en cas d’alitement, se développe très rapidement une sarcopénie, c’est-à-dire une fonte musculaire avec une très importante réduction de la force qui peut entrainer un handicap considérable. Les douleurs mal contrôlées (ex. au niveau osseux) peuvent aggraver encore plus la situation.
Les traitements sont également de grands responsables.
Certaines chirurgies lourdes (thoraciques, abdominales, pelviennes ou au niveau de la sphère ORL), peuvent donner lieu à des complications (hémorragies, retards de cicatrisation, infections, douleurs, troubles urinaires et/ou du transit) qui conduisent souvent à des hospitalisations prolongées très exténuantes nécessitant une longue période de récupération.
La chimiothérapie, par exemple, affecte la moelle osseuse, entraînant des carences en globules rouges et donc une anémie. L’anémie causée par les traitements peut cependant être améliorée par des injections d’érythropoïétine (EPO), permettant ainsi de stimuler la production de globules rouges et de soulager la fatigue. Dans certains cas, des transfusions sanguines sont nécessaires.
D’autres effets secondaires des médicaments tels que les mucites (inflammation des muqueuses), la perte d’appétit, les nausées ou les infections peuvent aggraver la sensation de fatigue. Enfin, la radiothérapie localisée est en général bien tolérée, mais certaines irradiations étendues, notamment au niveau du thorax et de l’abdomen (et/ou du pelvis) peuvent entrainer des effets digestifs plus ou moins importants (nausées, vomissements, diarrhées).
Toutefois, les techniques modernes d’irradiation telles que pratiquées au Centre Icone, permettent le plus souvent un ciblage lésionnel extrêmement précis avec une épargne maximale des « organes à risque » adjacents.
Par ailleurs, les irradiations hypofractionnées (« concentrées ») permettent de réduire le nombre de trajets qui peuvent aussi occasionner de la fatigue.
LA FATIGUE : Un symptôme complexe et multifactoriel très variable en fonction du stade de la maladie et des individus
Comment prendre en charge et prévenir la fatigue liée au cancer ?
Il est tout d’abord important de prévenir les patient(e)s qu’une fatigue plus ou moins intense peut apparaitre pendant les traitements et parfois après, durant une période plus ou moins longue.
Cette information est « rassurante », et permet une prise en charge « consciente » de ce symptôme.
Encore une fois, il est nécessaire de tenir compte de l’âge du patient, de ses comorbidités (maladies associées), qui peuvent jouer un rôle aggravant en augmentant la fatigue due à la maladie et aux traitements.
Une surveillance très régulière au cours des différents traitements est indispensable, afin de détecter également d’autres symptômes (fièvre, perte d’appétit, amaigrissement, troubles digestifs, douleurs) qui peuvent accentuer la fatigue.
Des bilans biologiques réguliers sont donc nécessaires pour rechercher une anémie, un dysfonctionnement rénal, hépatique ou thyroïdien pouvant expliquer en partie les symptômes.
Il faut également rechercher des troubles du sommeil et des signes de dépression qui peuvent être associés.
La ménopause précoce et rapide induite par la chimiothérapie chez les femmes jeunes peut provoquer de multiples symptômes (bouffées de chaleur parfois très intenses, douleurs musculaires et/ou articulaires, diminution de la libido, prise de poids) pouvant augmenter la sensation de fatigue.
Les mêmes symptômes peuvent apparaître chez un certain nombre de patientes, au décours de l’hormonothérapie, tant en préménopause qu’en postménopause.
Chez les hommes, les traitements anti-hormonaux pour le cancer de la prostate peuvent également occasionner de la fatigue, des douleurs musculaires et/ou articulaires.
Il existe plusieurs façons de prendre en charge la fatigue liée au cancer. L’une des premières étapes consiste à consulter des professionnels de santé spécialisés, tels que des oncologues, des infirmières et des kinésithérapeutes, qui peuvent aider à mettre en place des stratégies adaptées.
La fatigue peut être combattue par un équilibre entre repos et activité physique modérée, qui est très importante. Cette “activité physique adaptée”, sous différentes formes, constitue le meilleur moyen de réduire la fatigue. La marche, le vélo, la gymnastique douce, le yoga, le Chi Gong, la natation peuvent améliorer la circulation et favoriser la récupération. De plus, on sait désormais qu’une activité physique régulière réduit les risques de rechute à long terme.
En parallèle, un soutien psychologique peut être envisagé, car l’anxiété et le stress liés à la maladie peuvent aggraver la fatigue. Un suivi auprès d’un psychologue permet d’aborder les aspects émotionnels de la fatigue. Il est par ailleurs important de maintenir une alimentation équilibrée et riche en nutriments pour éviter l’épuisement.
Au centre Icone, afin de réduire la fatigue et améliorer la prise en charge d’autres symptômes (ex. douleurs ostéoarticulaires ou musculaires), des séances de massages, d’ostéopathie et des soins socio-esthétiques sont régulièrement proposés aux patient(e)s, en complément à une assistance psychologique.
L’entourage joue aussi un rôle important pour une bonne gestion de la fatigue. Le soutien des proches et la reconnaissance de la notion de fatigue, peut aider à soulager le poids émotionnel et physique. Des aides à domicile sont souvent indispensables, notamment pour les personnes âgées. De plus, il est nécessaire que les patients ne s’isolent pas et continuent de communiquer sur leur ressenti, que ce soit à leur entourage ou à leurs équipes médicales et paramédicales, afin que des ajustements puissent être faits dans leur quotidien au long terme.
En fin de compte, la fatigue liée au cancer ne doit pas être sous-estimée. Désormais, les oncologues sont sensibilisés à ce problème dans le cadre des « soins de support » proposés aux malades. Tout comme d’autres effets indésirables liés à la maladie cancéreuse et à ses traitements, elle peut être, en règle générale, gérée avec une bonne coordination des soins pour permettre aux patient(e)s de retrouver une meilleure qualité de vie malgré la maladie.
Références :
- Cancer-Related Fatigue: Causes and Current Treatment Options. Thong M. S. et al. Current Treatment Options in Oncology 2020, 21:17.
- Fatigue et cancer. Référentiel en Soins Oncologiques de Support (AFSOS, 9.10.2020).
Article rédigé par le Docteur Bruno Cutuli, Oncologue radiothérapeute au centre Intergroupe de Cancérologie et d’Onco-radiothérapie du Nord-Est (ICONE)